LOUIS WUILLEM

‘Se laisser emporter dans un rêve vers les édens évoqués par ce poète. Car Louis Wuillem est avant tout un poète’. 

Paul Champagne. 1932.

Loverval. Ce nom porte en lui autant de rêves que de souvenirs : un tram au terminus, point de départ pour d’infinies promenades, un lac aux berges romantiques, une cascade, un château. Des guinguettes où l’on se rafraîchi, les dimanches d’été l’après midi. Quand la ville se repose au grand air. Loverval des années folles. Loverval des cartes postales.

Ce village autrefois caché dans ses bois, communauté d’hommes et de femmes de la terre, au cœur rude comme la vie, tourne le dos à cette ville de poussière et de labeur, Charleroi la minière, qui étend jusque Couillet, ses usines et charbonnages. Paysage gris foncé que Loverval domine tout en bordant les plateaux campagnards de l’Entre-Sambre-et- Meuse.

Maison rue du Calvaire.

…des maisonnettes fleuries, des arbres omniprésents et des ciels immenses …

A Loverval, ce ne sont que bois et massifs de hêtres et de chênes rouvres, des chemins empierrés à l’ombre des vieux murs. Une ferme, majestueuse, sur son éperon rocheux. Un château dans un parc. Une église, pointant son clocher à travers une haie de sapins d’où la musique monte en même temps que les prières.

Un hameau entouré de prairies, des coteaux aux genêts, des champs mordorés. Une rivière sinueuse, les eaux calmes d’un lac. Des arbres. Des fleurs. Des couleurs. Selon la lumière du jour, brossant le paysage de tons impromptus.

Louis Wuillem naît à Loverval à la fin du 19ème siècle.

Dès sa naissance, l’enfant est baigné de musique. Très tôt, son père, le clerc organiste de l’église Saint Hubert l’initie aux orgues. Louis deviendra le 7ème organiste de la famille. En classe de primaire, ce sont les couleurs qui se révèlent. Pinceaux et partitions seront à jamais liés.

Wuillem devient instituteur en 1905. A l’ombre des terrils et des chevalements, les enfants de Charleroi ont le cœur et l’avenir dans le charbon. Wuillem leur fait découvrir le bonheur de dessiner. Première révélation d’un pédagogue exigeant. Le dimanche, Wuillem parcourt la campagne avec son chevalet.

‘Saisir le charme idyllique des maisonnettes aux tuiles rouges, parmi des bouquets d’arbres’….Paul Champagne. 1932

Les Moissons

Mais c’est la guerre qui éclate en Août 14, envoyant les hommes dans l’enfer de l’Yser qui révèle à Wuillem sa soif de peinture et sa motivation de pédagogue. Blessé et malade, l’homme découvre la mer de son lit d’hôpital.

Fascination. Esquisses de va-et-vient de mers grises aux reflets de glace.

Wuillem rejoint la ferme de Boinville, Normandie, où l’on ‘retape’ les soldats invalides. L’instituteur enseigne le français, s’occupe de comptabilité. Le peintre, par des gestes de rééducation, transmet aux mutilés le goût de la peinture. L’homme revit. Le peintre s’affirme.

Mon jardin.

‘Ses peintures disent l’histoire de sa vie et de sa personnalité’. G. Perniaux 1922.

Car l’émulation est grande, les artistes qui se retrouvent là travaillent fraternellement. La force de l’expression émane de ce monde d’hommes meurtris aux confins de la guerre. Les Artistes Alliés, -ce sont eux-, envoient leurs toiles à New York, à Rouen et Bordeaux. Wuillem sera de ceux là.

En 16′, puis en 18′, Wuillem fait le voyage en Italie, terre initiatique s’il en est, d’où il ramènera quantités de pochades, études, esquisses lumineuses que vont s’arracher ses camarades, comme autant de baume sur leur cœur blessé.

Avec les artistes du Front Belge, il expose ses œuvres à Vernon, Rouen, Bordeaux, New York…

Plage

La marque indélébile de cette période sera le terreau d’une inspiration féconde. A travers des paysages de Flandres et de Normandie aux chaumières basses écrasées sous des ciels immenses, aux lignes d’arbres inclinés sous le vent, aux champs illuminés, Wuillem se souvient. En 1918, le peintre lovervalois rencontre Claude Monet à Giverny.

En 19′, Wuillem revient en sa terre et travaille. Tant d’images se bousculent, mêlées aux impressions confuses d’après guerre. Mais sa mémoire est sélective et la beauté domine.

Les Chênes de l’Ancienne Drève

‘La caractéristique de ce peintre se résume en une seul mot : lumière.’ Fredo Franzoni. 1922.

Des jardins riants aux coteaux fleuris, une mare à Boinville, des genévriers sous la lumière, ces soirs sur la Seine, de nombreuses marines encore, aux divers aspects…. chacune des toiles vibre d’émotion et de sentiments.

Wuillem regarde avec des yeux de photographe et met en scène comme un poète. Emotion et sentiments : ces termes domineront les premières critiques en 1922.

Le peintre expose seul pour la première fois ( pas moins de 60 tableaux) en 1922 à la Laiterie du Bois à Loverval. La critique évoque la lumière, intensément recherchée, la couleur, comme une alliée, un savoir-faire qui s’affirme comme autant de promesses.

 

Charleroi se reconstruit. Et les artistes se manifestent. De grands courants artistiques balaient les vieilles certitudes. Dans la foulée de cette effervescence, nombre de talents au sein de toutes les disciplines, musique, littérature, peinture, architecture, encouragés par le bouillonnement culturel et l’intérêt du public, créent le Cercle Artistique de Charleroi .

Hector et Gomer CHAVEPEYER, Fernand THON, Marcel GIBON, Gustave CAMUS, Pierre PAULUS, Jean RANSY, Alex-Louis MARTIN sont les peintres avec lesquels Wuillem exposera régulièrement. Le Cercle Artistique montera à Charleroi des expositions d’artistes de renom international.

Partout des galeries s’ouvrent, des villes de province se font connaître comme étant des berceaux artistiques. L’art se rend accessible. Et Wuillem vend plutôt bien ces petits monuments à la vie que sont ses tableaux.

En 1924, la Ville de Charleroi achète à Wuillem un de ces fameux ‘Coup de Vent’ dans lesquels il excelle. La Commune de Couillet se porte acquéreur de ‘La Mare de Boinville’, ‘Crique’ et ‘l’Amérique’ (L’Amérique est un quartier de Couillet, localité voisine).

…Ne l’ai-je point surpris un jour, sa palette sur la table et… un de ses enfants sur le bras, gravement occupé à réaliser  » une chose pas trop mauvaise  » selon l’expression qu’il employait…… G. Perniaux. 1925.

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La Chapelle du Try d’Haies

Les expositions se suivent : La Louvière, Couillet en 1925, (avec Alex-Louis MARTIN), Charleroi.

Quand il expose seul, Wuillem accroche sans peine une soixantaine d’œuvres.

C’est qu’il travaille, le peintre. A cours de toile, il va jusqu’à peindre au dos de ses propres peintures. En 1928, Wuillem accroche 80 tableaux à la galerie  » Eddy’s Art Studio « . Reconnaissance. Le gouvernement belge lui octroie un prix sous forme d’allocation à titre d’encouragement.

Succès encore : en 1929, le tableau ‘Hiver à Loverval’ figure dans l’Annuaire Général des Beaux-Arts de Belgique.

Les Morlères

…Wuillem a suivi toutes les voies sans être l’esclave d’aucune. Fesler-Bottriaux.1931

Expositions à Tournai, Mons, Liège, Châtelet, Gand, Namur. En 30′, Wuillem envoie 2 toiles au Musée des Beaux-Arts de Mons.

L’œuvre grandit au rythme des expositions. Chaque année, de nouvelles oeuvres prennent le chemin des cimaises. Une note écrite de sa main signale que 47 toiles ont quitté la maison sur la seule année 29.

En 1931, la revue ‘L’Art Contemporain au Pays de Charleroi’ consacre au peintre une pleine page rappelant son parcours ainsi que les tendances diverses de son œuvre.

Le peintre utilise et revendique l’usage de styles différents, mais il le fait toujours de manière personnelle et l’empreinte de l’artiste, de l’homme également, ressort à travers la facture. Cette nature que Wuillem recherche et ressent au plus profond de lui-même, cette ‘terre des bois et des eaux’ à laquelle rend hommage sa palette, n’a de cesse de perpétuer l’évocation du village et de la campagne en général.

‘Sa palette est riche en diversité comme sa facture’.

Marius DES ESSART. 1936.

L’orage

En 1936, Dans la revue Savoir et Beauté, Marius des Essarts consacre un chapitre abondamment illustré au travail de Wuillem.

Expositions à Gand et Bruxelles.

En 1945, Wuillem expose dans son atelier à Loverval. Une exposition qui déborde largement dans la maison contiguë où la famille s’est installée à nouveau. La Ville de Charleroi le soutient et lui manifeste son intérêt.

Fin des années 40, Wuillem expérimente de nouvelles voies. Son inspiration se renouvelle sans cesse. La critique note, bienveillante, ses orientations. A côté des Camus, Genaux, Delmotte, Higuet, Wuillem a construit une œuvre reconnue et estimée.

La Trouée

…Les ans n’ont pas de prise sur Wuillem.

Raymond Brimant. 1958.

Ils seront nombreux, amis, journalistes, artistes à voir dans cet homme taiseux et farouche, un artiste sincère et sans artifice. Parmi ceux-ci, Raymond Brimant, -alors journaliste au Rappel qui suivra l’évolution du peintre à travers les expositions du Cercle-, bourgmestre de Gerpinnes et sénateur, mais aussi Emile Lempereur, chantre du dialecte wallon, journaliste et auteur d’ouvrages consacrés à la peinture et à la littérature en Wallonie.

En 53′, l’état Belge acquiert  » Le Village de Soulme « . Expositions en 1954, en 55. La Ville de Charleroi se porte acquéreur de ‘L’entrée du Village’ qui ornera les murs du bureau du Proviseur de l’Athénée. La Ville aura acquis 6 toiles de Wuillem.

Le réel est ici transfiguré, transposé, exprimé dans sa vérité profonde et le peintre ne s’efface pas pour autant.

Raymond Brimant. 1949

Coteau aux genêts

En 1958, année de son décès, l’œuvre du peintre compte plus de mille toiles, dessins, esquisses et aquarelles.

Le Cercle Artistique de Charleroi avec lequel Wuillem exposa chaque année depuis 1921 rend un hommage posthume au peintre en mars 59.

En 1965, ce sont les Lovervalois qui rendent hommage à sa mémoire en organisant une exposition dans son village natal.

En 1972, des toiles de Wuillem figurent à l’exposition du Cercle Artistique de Châtelet à l’occasion du 40ème anniversaire de sa création.

Coup de vent

Ces 3 dernières compositions préfigurent une orientation nouvelle que le peintre n’a pas eu le temps d’exploiter.

En 1980, le livre ‘Loverval, terre des bois et des eaux’ évoque la vie et l’œuvre du peintre.

En 1982, le Cercle d’Histoire et d’Archéologie de Loverval présente une trentaine d’œuvres de Wuillem sous le titre ‘Loverval vu par un Lovervalois’.

Louis Wuillem apparaît dans 2 dictionnaires de référence sur la peinture belge en 1995.

En 2000, lors de l’exposition ‘Loverval, présent du passé’ où sont exposées 2 toiles du peintre dans un espace qui lui est consacré, sort la brochure illustrée ‘Louis Wuillem, peintre et musicien lovervalois’ qui retrace la vie de l’artiste à partir des archives et les témoignages de Jean et Jeanne Wuillem-Monard, fils et belle-fille du peintre.

L’œuvre survit au peintre.

Jean Wuillem, l’aîné des 3 enfants du peintre, aidé de son épouse Jeanne Monard, géra une partie de cet inestimable patrimoine en assurant la restauration des toiles chez les particuliers, en se faisant connaître auprès des marchands de tableaux et surtout en conservant les archives et références du peintre. Jeanne Monard étant la mémoire du peintre.

A Loverval, c’est une véritable histoire d’amour qui s’est tissée entre l’œuvre du peintre et les Lovervalois. Ce patrimoine constitue aujourd’hui un héritage moral pour cet ancien village en quête de ses racines.

Pont d’Ham-sur-Heure

Nature morte

Texte : Micheline Dufert (Copyright Sabam)

Reproductions photographiques: Francis Pourcel

Sources :

*Catalogue de l’exposition de 1923 à Couillet. Texte de G.Perniaux.

*’Essais et Esquisses’ Ouvrage de M. Paul Champagne. 1930.

*Revue ‘AZ’ 1930. Article de M.Marius des Essarts

*Revue ‘Savoir et Beauté’ 1936.

*Le Rappel, articles couvrant les expositions du Cercle Artistique de M. Raymond Brimant.

*Texte sur la peinture en Hainaut de 1918 à 1946 de M. Emile Lempereur.

* »Les Arts en Wallonie.’ Ouvrage collectif édité par les Cahiers du Nord. 1947.

*Loverval, terre des bois et des eaux.’ Ouvrage collectif écrit par des habitants de Loverval. 1980.

*Louis Wuillem figure dans le ‘Dictionnaire des Peintres Belges du 14ème siècle à nos jours’. D’après une biographie d’Emile Lempereur. Editions La Renaissance du Livre. 1995.

*Louis Wuillem figure également dans le ‘Dictionnaire Biographique Illustré des Artistes en Belgique depuis 1830’. Editions Arto. 1995.

*’Louis Wuillem, peintre et musicien lovervalois’. Brochure de Micheline Dufert. Juin 2000. A la recherche de la mémoire lovervaloise.

*Monsieur et Madame Jean Wuillem-Monard à Loverval.

*Monsieur et Madame Jean Wuillem-Pivont à Loverval.

©Micheline Dufert-2003

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