Du chemin carrossable, la vue de ces grottes partiellement dissimulées sous les arbres provoque une irrésistible attirance. Et là haut, le calme mystérieux de ces lieux y contribuant, ces larges ouvertures plongeant vers l’abîme nous rapprochent des légendes.
Au 19ème siècle, lors des longues veillées d’hiver, nos ancêtres se racontaient ces histoires de petits hommes des grottes qui ne se montraient qu’accidentellement aux gens de la contrée. Si le soir, on déposait son linge sale ou de vieilles chaussures auprès de leurs sombres demeures, on pouvait aller les reprendre le lendemain au même endroit l’un lavé, les autres parfaitement raccommodés. » (Clément Lyon 1875).
Sarrasins, lutins, nutons, la tradition populaire en nos contrées est riche de ces appellations. Le terme Sarrasins, à l’origine, désigne les musulmans d’Espagne, de Syrie et d’Afrique. Ce terme est devenu dans le langage populaire synonyme de païen et d’infidèle.
On trouve cette appellation dans toute la Wallonie* : dans le Grand Charleroi, le terme a désigné des édifices anciens : un château à Montignies sur Sambre, un prieuré à Jumet, une enceinte à Gilly, un monticule à Ransart.
Des habitants d’un quartier comme à Heigne, voire d’un village comme à Viesville furent affublés de ce nom.
D’autre part, les légendes confinent les Sarrasins dans des rochers creux ou des grottes comme à Loverval, à Presles, à Gilly, à Jumet mais aussi en Namurois, au pays de Liège et dans les Ardennes. Les Sarrasins sont alors synonymes de nutons, farfadets, génies. Ils sont d’habiles forgerons au corps trapu, tels de petits vieillards alertes. Très complaisants, ils mettent leurs talents au service des humains, réparent et nettoient les ustensiles et vêtements contre un pain, un pot de lait ou des tranches de lard*.
Partout, l’existence de ces êtres témoigne du besoin qu’avaient nos ancêtres de peupler, par l’imaginaire, des endroits de mystère et de crainte qu’ils ne pouvaient ou n’osaient explorer.
Et les Nutons ou Sarrasins ont enveloppé nos grottes de mystère et de poésie.
*LEMPEREUR Emile et CARLY Michel , « Légendes et contes du Pays de Charleroi », éd. Legrain, 1984. Des nutons chez les Sarrasins P.80.
L’aventure : du mammouth fut servi à Loverval
A Loverval, la grotte a toujours fasciné petits et grands :
« Enfants, (avant guerre) nous nous cachions là sans que personne ne soit au courant … »
De l’entrée du porche, nul ne put imaginer l‘inestimable trésor que recelaient les cavités.
Des fouilles commencent en 1961 par 3 spéléo amateurs de la région : Guy Lorent, Tony, Remels et André Massinon.
Curieux défi alors que toutes les grottes ont été découvertes au 19ème siècle. Et pourtant, les fouilles révèlent l’existence d’une faune quaternaire( ours des cavernes, mammouth) et d’une occupation du paléolithique supérieur : la grotte a servi d’abri aux chasseurs de rennes, on y découvre des silex taillés, des restes de repas, une dent de rhinocéros. L’entreprise est victime de son succès : des fouilleurs clandestins visitent régulièrement les lieux, des bris de stalactites en témoignent. La maladie et le décès d’un des spéléos André Massinon, interrompt les découvertes.
Mais ce n’est que partie remise. En 1978 c’est Philippe Doumont de l’équipe de Guy Lorent qui découvre le cœur de la grotte. Après un effondrement de la voûte laissant apparaître une crevasse dans le plafond, c’est le spectacle d’un nouveau réseau de magnifiques concrétions.
« C’est dans un silence total et recueilli que nous avons contemplé tant de beauté. Echappant quelques instants à toute donnée temporelle, nous avons dignement apprécié les caprices de cette nature restée inviolée des regards humains, depuis des millénaires » raconte Guy Lorent à l’époque.
Ces découvertes d’ossements travaillés et de silex taillés dans ce sanctuaire de la Préhistoire laissent à penser que l’occupation humaine de la grotte date de 35.000 ans avant notre ère. (Paléolithique supérieur, homme de Cro Magnon) Des ossements et des silex par caisses entières sont exhumés.
Une course s’engage contre le temps : des fouilleurs clandestins continuent de pénétrer à l’intérieur, abîment des concrétions en en prélevant des parties, emportent des silex. L’accès à la grotte étant fermé, des scientifiques sont dépêchés sur place. La presse s’empare de l’affaire et la télé descend dans la grotte pour l’émission Antenne Soir.
Les fouilles prennent fin, on attend le relais de spécialistes scientifiques.
Entre-temps, un musée est aménagé dans les locaux de l’ancienne école communale qui abrite la bibliothèque. Il présente les pièces les plus représentatives des fouilles.
Malgré les efforts de l’Administration Communale qui ferma la grotte par une grille bétonnée, les pilleurs, vandales et curieux de tout poil continuèrent de pénétrer sur le site avec les saccages que l’on devine.
Le site des Sarrasins est aujourd’hui classé pour sa richesse en chyropterologie et monsieur Paul Eloy en est le conservateur.
De cette aventure aux Sarrasins subsiste une dynamique autour de témoignages, documents et les nombreuses pièces exposées au Musée Marcel Collet, route de Philippeville. (Dans les caves de la bibliothèque)
Micheline Dufert et Francis Pourcel
Le Petit Lovervalois 2002