ELIE BAUSSART
Article de Marcel Collet. Extrait du livre collectif «Loverval, terre des bois et des eaux" (Ce livre est consultable à la bibliothèque
Tous les anciens Lovervalois se souviennent de lui lorsqu’il faisait sa promenade journalière, l’air majestueux, la barbe toujours bien soignée. Mais tous sont loin d’avoir connu ses diverses activités et l’influence qu’il avait auprès de certains groupements auxquels il a donné son image de marque.
Il fut un précurseur, avec une avance de plusieurs décades, des mouvements qui se développent actuellement sur le plan de la Wallonie et de la Belgique.
Elie Baussart fut un autodidacte qui arriva, après avoir lu des livres par milliers et fréquenté les auteurs les plus renommés, à un savoir intellectuel des plus brillants de Belgique.
Il est né à Couillet le 16 décembre 1887, cadet d’une famille de cinq enfants dont le père était forgeron. Il commence ses humanités scientifiques au Collège du Sacré-Cœur à Charleroi, mais doit y renoncer, ses parents ne pouvant envisager pour lui des études coûteuses.
Pendant quatre ans, il ronge son frein dans des sociétés import-export, tout en continuant à s’instruire, il se perfectionne en langues anglaise, allemande et néerlandaise et un ami lui enseigne le latin.
En janvier 1909, il rentre à son ancien Collège, comme professeur de français et d’histoire et même de langues à l’occasion. Il fut un professeur merveilleux, ne craignant pas de sortir des méthodes habituelles d’enseignement.
Il fonde des revues, écrit pour divers journaux belges et français et devient conseiller de groupements ouvriers chrétiens.
En 1907, il crée une revue d’avant-garde : « L’annonciateur ». En 1910, lui succédera « Le catholique » qui finira de paraître en 1914.
Le 4 septembre 1912, Elie Baussart épouse Valentine Castelain, née à Roubaix le 10 août 1892. Elle sera pour lui une épouse modèle d’une simplicité exemplaire.
Le 25 juillet 1914, il est élu président du syndicat des employés et voyageurs du Bassin de Charleroi, mais la guerre, fatalement, ralentit son activité. Il en profite pour préparer l’après-guerre et en 1919, il reprend son action syndicale.
Il crée aussi la revue « La Terre Wallonne » et, par cette revue, il propage le message catholique et affirme l’idée régionaliste.
Il proclame à tous vents son attachement au catholicisme, à la Wallonie et à la classe ouvrière. « La Terre Wallonne » est aussi littéraire et accueille les écrivains belges les plus cotés , mais aussi les jeunes auteurs.
En 1930, la revue opère un tournant important en étudiant la vie de nos provinces dans tous les domaines. On y découvre des articles qui sont l’annonce des temps que nous vivons actuellement. Elie Baussart a écrit d’abord pour les catholiques, essayant de leur inculquer un esprit fraternel et ouvert, contraire à l’esprit de caste qui était leur étiquette dans l’entre-deux-guerres.
En 1941, son épouse décède, âgée seulement de 50 ans : il perd en elle un appui moral de grande importance. Malade depuis 20 ans, elle fut un modèle de sainteté. Il lui rendit hommage en écrivant, sur le conseil d’un Ami, « La Vie de Valentine ».
En 1944, il crée un groupe d’Union de Charité. Dans l’esprit de ce groupement, il publiera entre autres « Le Chrétien est missionnaire » et « Les causes de la déchristianisation de la classe ouvrière ». Il s’inscrit aux groupes « Amitié » qui réunissent des enseignants catholiques, protestants et orthodoxes du secondaire. Il entre en contact avec les moines de Taizé et fonde le cercle oeucuménique « Qu’ils soient un »
Elie Baussart fut, toute sa vie, soucieux de l’éducation culturelle du monde ouvrier ; il s’adressa à lui particulièrement par le canal de Radio-Hainaut.
Fatalement, il fut mêlé au drame des prêtres-ouvriers.
Au terme de sa vie, il écrit « Le Porche d’Argent », une préparation au seuil de l’Eternité. Il passa ses dernières années en compagnie de sa deuxième épouse, née Suzanne Sottiaux ; elle fut pour lui une compagne affectueuse, discrète et admirative.
Décédé le 30 décembre 1965, son corps repose aujourd’hui au cimetière de Loverval, tout près de la vieille église qui le vit tant de fois humblement agenouillé, la tête entre les mains, cherchant dans le recueillement et la prière, la base et les forces de ses luttes passionnelles.
Suivant un vœu exprimé dans son testament, les personnes présentes aux funérailles entonnèrent le « Magnificat », avant la mise en terre. Elie Baussart, écrivain de renom, aux réactions parfois inattendues, précurseur dans bien des domaines, d’une charité discrète, fut toujours à la recherche de la Vérité. On peut franchement dire qu’il forma de nouveaux hommes : des chrétiens qui, négligeant le sectarisme, s’ouvrent sur la réalité de notre monde en mouvement. Ceux qui l’approchèrent et eurent la chance de partager son amitié, sont marqués à vie.
MC
EMILE LEMPEREUR
Quand le webmaster m'a demandé d'écrire mes impressions sur Emile Lempereur, le jeune dramaturge de 40 ans que je suis a éprouvé une certaine fierté. Presque centenaire, Emile "Le Wallon inoxydable" n'arrête pas. Actuellement, il termine un ouvrage de 500 pages sur Châtelineau. Châtelineau, il l'aime cette commune. Moi, aussi, je l'avoue. En tant qu'homme de radio et de théâtre, je travaille sur une pièce évoquant la vie de Radio Châtelineau qu' Emile a bien connue.
Emile, c'est la mémoire vivante de la Wallonie et de la région de Charleroi, en particulier.
Ce n'est pas pour rien que Pierre Bolle, directeur du Centre Culturel Régional de Charleroi a demandé à Emile d'écrire le livre " Charleroi, désert culturel?".
Ancien instituteur, Emile a conservé cette soif de savoir et de faire partager ses connaissances. Les jeunes auteurs ne manquent jamais de le solliciter pour avoir son avis. Dramaturge, il s'est surtout spécialisé dans l'adaptation de grands classiques; on garde d'ailleurs en mémoire ses "Trois mousquetaires" en wallon.
D'Emile Lempereur, j'ai conservé un livre, surtout.
" Charleroi à coeur ouvert" ( duculot)dans la collection "des villes et des hommes", dirigée par le regretté Georges Renoy.
Je le conserve pour deux raisons. C'est une mine d'informations sur l'Histoire de Charleroi jusqu'en 1977. Ensuite, la préface est signée Lucien Harmegnies, ancien bourgmestre de Marcinelle et premier bourgmestre de Charleroi Grande Ville. Je ne résiste pas à l'envie de vous proposer ladite préface.
" Alors que j'écris ces lignes, j'ai devant moi un Ami, qui est l'auteur d'un ouvrage dont le titre est un message: Charleroi à coeur ouvert. Emile Lempereur et moi venons d'avoir un bon entretien, à la manière de ceux qu'il y a trop longtemps, j'avais la chance d'avoir avec lui dans les locaux d'une bien veille maison, celle du Journal de Charleroi des Des Essarts. Il en était déjà un incomparable collaborateur dont les chroniques signées L. Wallon participaient à un combat indispensable.
Un bon entretien. Les yeux dans les yeux, le coeur dans le coeur, avec pour objet tout ce qui fait la fierté de notre Pays Noir et de notre Charleroi. Mais avec aussi ce qui justifie son inquiétude. Nous avons fait le tour de beaucoup de problèmes et l'inventaire de bien des solutions.
Charleroi est une ville dont l'histoire est inscrite autour de nous en forme d'usines, de molettes, de cheminées et de terrils, d'institutions scolaires, d'oeuvres sociales, d'équipements culturels et sportifs, d'habitats.
Autant de témoignages de vie. Beaucoup de Carolorégiens et de Carolorégiennes en sont les magnifiques auteurs et réalisateurs. La génération d'aujourd'hui et celle qui se prépare à la succession doivent être capables d'y ajouter le chapitre des réalités de demain. Un chapitre wallon, écrit par des Wallons.
A cet endroit de notre entretien, Emile Lempereur m'a dit: " Ce livre-ci, j'aurais voulu l'écrire en wallon.Je me serais senti beaucoup plus près de tous ceux, administrateurs ou administrés, gens de l'Hôtel de Ville, des fabriques, des magasins ou des corons, artistes et écrivains qui ont fait la ville et sa région à coups de sueur et à coups de rêves. Mais c'eût été un barrage: trop de Wallons n'auraient pu venir serrer la main tendue, s'approcher du coeur ouvert dans une histoire, trop peu connue, de malheurs et de bonheurs".
Lucien Harmegnies"
Emile Lempereur écrivit ce livre entre octobre 1976 et juin 1977. Il y posait une question essentielle: "Y a-t-il un type de carolo?"
« Après tant de brassages d’individus et de nationalités dans un creuset de si petites dimensions, est-il né un type bien défini de à Charleroi ? s’y est-il maintenu ?
Oui. Nous irons à sa rencontre dans tel café populaire ou petit-bourgeois de la Ville-Basse, de la Ville-Haute ou du Faubourg, au stade du Sporting ou sur le ballodrome de la place du Sud, au marché du dimanche matin, à la Ville-Haute, ou au marché matinal, sur la place de la Digue. Et dans les palais ? Aussi. Qu’il s’agisse d’exposition industrielle, commerciale ou artistique, il est là, visible et audible. Mais il faut le repérer. Cela devient de plus en plus difficile, car il s’enfonce davantage dans une masse étrangère.
Mais il est là, ignorant l’orgueil de race, accueillant et bon, sociable avec entrain, aimant et la vie et sa ville dans ce qu’elles ont de concret et de savoureux. Il est là, critique sans mépris, sentimental sans fierté, jouisseur sans excès, mais pas toujours économe. Il est là un tantinet rêveur, communicatif mais réservé dans l’expression de ses sentiments intimes, goguenard, farceur, fanfaron, frondeur, prétentieux sans ostentation ou méchanceté, coquet, gaulois sans vulgarité, et d’un bon sens un peu rude. Il est là, conteur d’histoires mais non romancier, loquace mais détestant l’emphase, secrètement tendre avec des pointes d’ironie. S’il a la solidarité généreuse, il est jaloux de ce qu’il possède, plus dans la crainte de perdre son bien que dans la joie d’amasser. Esprit observateur et inventif, vif et nerveux, travailleur intelligent et énergique, il se montre trop mobile, jusqu’à l’instabilité, pour créer de grandes choses ; d’ailleurs, le génie lui étant inconnu, il est fait pour une production continue et diverse, amoureusement perfectionnée ; il est plus sensible à la technique qu’à la beauté pure, au style et à l’objet qu’à la force et l’abstraction. Il est là, religieux mais voltairien, mélange de traditionnalisme et d’esprit réformateur, positif, se méfiant du lyrisme. Son champ de bataille préféré, c’est l’usine, la fosse, le bureau, le comptoir, et si sa patrie, c’est essentiellement sa famille, ses compagnons et ses libertés, il a montré en 1830, en 14-18 et en 40-45 qu’il savait aussi lutter et mourir pour d’autres idées. Certes, il est encore attaché à sa ville mais son chauvinisme local n’a plus une expression aussi catégorique et peu nuancée qu’autrefois. Et puis, il se sent perdu devant tous les changements qu’on lui impose, au niveau des rues et des hommes. En politique, il se montre perméable aux souffles d’émancipation non par besoin de changement mais par soif de justice et de fraternité ; ses deux amours, la Wallonie et la France ; mais sans passion et dans un large esprit de tolérance.
Le Carolo résistera-t-il encore longtemps aux assauts de la vie moderne, de sa région, de l’étranger ? Va-t-il se battre ou subir ? Assimiler ou se fondre ? Et à quoi s’accrocherait-il ? »
Charleroi à cœur ouvert Duculot 1977.
Quelques liens pour en savoir plus sur Emile Lempereur:
POL VANDROMME
Pol Vandromme est né à Gilly le 12 mars 1927. Journaliste, rédacteur en chef et directeur du quotidien " Le Rappel", administrateur de la RTBF, éditorialiste, essayiste, critique littéraire, romancier et mémorialiste, correspondant de journaux belges et étrangers. C'est un des écrivains belges d'envergure internationale. Il est l'auteur d'une oeuvre abondante et diverse, attachante par son esprit anticonformiste et son écriture vivante. Il est lauréat du Prix Charles Plisnier (1966), du Prix Emmanuel Vossaert ( 1984), du Grand Prix du Rayonnement français ( 1984), du Prix Francophonie de l'Union des éditeurs de langue française (1991), et du Grand Prix de la Critique de l'Académie française (1982), du Prix de la meilleure critique littéraire de l'année 1996, à Cognac (France), pour son " indépendance" et ses "qualités d'écriture". Bernard Clavel a dit de lui: " C'est l'un des plus grands critiques de langue française".
Source: Charleroi, désert culturel d'Emile Lempereur.