Retour "Café littéraire" Xavier Hanotte. Derrière la Colline, de
Secrètes Injustices.
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Xavier Hanotte est né à Mont- sur-Marchienne le 31 octobre 1960. |
Comme le titre de ses
livres ne l’indiquent pas, Xavier Hanotte a planté son univers dans la boue des
tranchées de 14-18, au milieu de ces hommes dont on se demande quelle folie les
a emportés loin de chez eux, au cœur de l’enfer où la mort est la seule
certitude.
Une guerre dont on ne sait plus aujourd’hui que les corps à corps
dans une terre gorgée d’eau. Et où la mort frappait aussi dans les tranchées
infestées de rats et où sévissaient le typhus et la grippe.
Pour nous
enfants de la paix, cette guerre, avec ses baïonnettes et ses chevaux, fait
définitivement partie d’un autre siècle.
Et pourtant, ce
sont des chiffres hallucinants que l’on ressort tous les 11 novembre. Que l’on
n’ose additionner et qui sont balayés dans le flot des informations
quotidiennes.
De même que ces soldats de monuments, perdus dans le décor de nos places
publiques, (comme sur la
couverture des Secrètes Injustices) sont
avec le temps devenus invisibles et désuets, la guerre 14-18 ne suscite plus
d’intérêt que pour les initiés.
C’est donc un travail de mémoire que Xavier Hanotte s’efforce
d’enrichir au fur et à mesure de ses livres. A découvrir aussi entre les lignes.
Dans l’univers de
Xavier Hanotte vivent des personnages fictifs et réels. Au travers des deux
livres présentés ici, apparaissent
2 personnages qui sont un peu
plus que cela dans son univers romanesque.
Le premier
est le personnage principal des Secrètes Injustices. Et il a le mot de la fin
dans Derrière la Colline.
Barthélémy Dussert, le policier mélancolique qui apparaît dès le premier roman de Hanotte en 1995, intervient au cœur des 3 premiers livres. En parallèle à ses enquêtes judiciaires, l’inspecteur Barthélemy Dussert traduit des poèmes de guerre de Wilfred Owen. C’est l’alter-égo d’Hanotte. Xavier Hanotte donne à son personnage fétiche une place de traducteur officiel puisqu’il publie les traductions d’Owen en 2001 sous le nom de « Barthélémy Dussert aidé de Xavier Hanotte ».
Le second hante les Secrètes Injustices et prend forme réelle dans Derrière la Colline.
Wilfred Owen,
qui apparaît également dans la
nouvelle « A la recherche de Wilfred » comme un personnage imaginé.
Il est clair que Wilfred Owen a déposé son barda de soldat et ses carnet de
poèmes pour longtemps dans la vie de Xavier Hanotte
Mais Owen n’est pas du tout un personnage imaginaire :
Poète
anglais né en 1893, il rejoint l'armée en 1915, au sein d'une compagnie qui
s'appelait les Artists Rifles. Il est envoyé en France en 1916. La guerre libère
son talent. Il mourra le 4 novembre 1918, une semaine avant l’armistice, sur
les bords du canal de la Sambre
à l'Oise.
Ainsi, telles de secrètes injustices, ils s’en allèrent.
Ils n’étaient pas des nôtres.
Jamais nous n’avons su quel fronts les attendait.
Wilfred Owen, the send-off
Derrière la colline, notre avenir nous attend.
Les destins qui combleront son vide;
Pour nous là bas, rien à gagner
Sinon des rêves jamais rêvés, des choses jamais dites.
Derrière la colline nos vies éclosent
Sur le lit froid des égouts du temps
Wilfred Owen , behind the hill
Pour en savoir plus sur Wilfred Owen, cliquez sur :
http://perso.wanadoo.fr/ptitmiche/ors.wilfred.owen.htm
Qu’est ce qui pousse l’inspecteur de police Bathélémy Dussert à fréquenter les cimetières anglais de 14 ?
« Mais non, je ne rêve pas, à part quelques imbéciles dans mon genre, tout le monde se moque bien d’eux. Ils sont oubliés, digérés, effacés. Ils n’ont plus de visage. Ils n’ont pas eu de descendance. Seules les pierres se souviennent d’eux. Et encore, les pierres les trahissent. C’est que leur alignement clairs et fleuris égayerait presque le paysage. (De Secrètes injustices. P.15)
Cimetière des Remparts. Ypres.
Au delà du
silence qui parcourt les allées, entre les alignement de stèles où s’étale une
lumière parfaite, des noms gravés sur les pierres surmontant des dates de décès
qui correspondent à des batailles. Puis, troublant le silence, une sonnerie de
clairon qui résonne depuis les arches d’un monument. Dès lors, c’est l’horizon
qui se métamorphose sous les défilés de tommies braillards.
Et les
cimetières militaires redeviennent des lieux de légende. Et de mémoire pour ces
hommes des tranchées qui n’avaient d’autre alternative que « d’y aller ».
(on fusillait ceux qui refusaient de monter à
l’assaut)
La guerre était
une question d’homme, à qui elle offrait à l’engagement un peu de gloire et
d’aventure. Au bout du chemin, elle se montrait surtout dévoreuse de chair à
canon.
Dans les Secrètes injustices,
Barthélémy Dussert en a rêvé, de ce poète-soldat qui écrivit dans son carnet
des mots de vérité sur l’apocalypse.
Il a vu, au travers de ces
textes griffonnés sous les tirs d’obus, le visage de ces hommes que la boue
rendait méconnaissables. Il a entendu le bruit des détonations et des débris de
mitraille cogner sur les casques, les musettes, les gourdes. Et transpercer la
chair. Il a entendu les cris des hommes sous la manœuvre, leurs prières, leur
dernier coup de gueule en empoignant l’échelle, repoussant vers l’arrière ceux
qui, foudroyés sur place, n’avaient pu monter à l’assaut.
Barthélémy Dussert a tous ces
poèmes de guerre dans la tête. A sa façon, il détient la mémoire des tommies
englués au fond de l’enfer du Westoek, dont il se fait le traducteur.
Il a tout consigné dans son petit carnet rouge. La mémoire, c’est pour les vivants parce que justement, les vivants ne savent pas.
Dans Derrière la Colline, il a vu en songe le mémorial de Thiepval dans la Somme, au pied duquel se prolongent les cimetières militaires anglais. Il n’était pas loin de William et de son ami Nigel, ce dernier en proie à l’égarement, réfugié au fond d’un cratère d’obus pendant l’offensive du 1er juillet 1916. Le mémorial ressemblait à une tour, dont le halos lumineux berçait l’immensité sereine. Il n’y avait plus les tirs, les canons s’étaient tus. Une terre à betterave s’étendait à ses pieds. Des haies basses avaient surgi de nulle part. En s’approchant, le monstre prenait forme. Gigantesque. Sur ses murs, des colonnes entières, par dizaine de mille, de noms de soldats répartis par bataillons. Parmi lesquels il distinguait les noms de Nigel Parsons et William Salter. Non, ce n’était pas possible. Pas maintenant. Pourtant, il fallait se rendre à l’évidence, William avait été foudroyé sous les tirs de shrapnell. Pour lui garder une identité, éviter que son corps ne soit enseveli sous les retombées de terre, il fallait le ramener. Le nom de William, Nigel le voulait sur une tombe, pas sur les flancs d’un monument.
Mais
qu’est ce qu’il y avait derrière la colline qui vaille un tel sacrifice ?
Pour en
savoir plus sur les batailles autour de Thiepval-Albert, cliquez sur
http://www.anzac.org/thgg.htm
Lors des accalmies, on trie des
champs de bataille les vivants des morts. Les uns portant les souvenirs des
autres. Cela leur confine une identité quand ils n’ont plus ni livret ni plaque.
Dans la redingote du cadavre de William on a retiré un carnet de poèmes
signé Nigel Parsons. Sur l’autre civière, à demi-mort, Nigel porte un
carnet de solde et un casque ne sont pas les siens. Nigel devient William, le temps
d’une guerre qui n’en fini pas, et où la vie de chaque soldat n’est qu’une
question de jours ou de mois.
La paix a rendu à la société des survivants emmurés dans leurs souvenirs sous un carcan de silence.
Même si autour d’eux la vie s’est faite.
Même s’il est advenu quelque
chose qui ressemblait au bonheur.
Jacqueline Coubert
était cette petite fille débrouillarde au milieu de l’enfer de Thiepval , qui
dessinait des soldats et vendait ses œufs à l’arrière du front. Elle disait
vouloir épouser William. -Quand je serai grande et s’il n’est pas mort,
disait-elle. Quand elle rencontre « l’angliche » affecté à l’entretien des
cimetières anglais autour de Thiepval, elle prend ses silences pour la sérénité
et ses errances pour de la rêverie.
Barthélémy Dussert
a retourné dans tous les sens la correspondance de Jacqueline Coubert-Salter.
Les quelques souvenirs de l’anglais, -dont elle veuve - il les soumet à
l’analyse labo. Quand aux carnets de poèmes de feu Nigel Parsons, il a décelé le
mystère de celui qui, au travers des courbes et l’aspect de l’encre, a couché
sur le papier comme sur les épaules d’un ami, ces mots remplis d’humanité au
cœur de l’innommable. Les analyses du labo sont formelles.
S’il existe des policiers-traducteurs, pourquoi pas des poètes-jardiniers ?
Micheline Dufert. Café littéraire. Nov.2002
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